7 La revanche (2)

Hôtel de Cavalière, chambre 117, Jefferson et Rico tiennent un conseil de guerre avant une nuit réparatrice. Depuis qu’il a abandonné la filature de l’amiral, Jefferson n’a pas dit un mot et observe Rico du coin de l’œil. Maintenant, il le somme de s’expliquer.
-- Il m’a dit qu’il était content de voir que je m’en étais sorti, dit Rico. Il prétend que c’est une longue histoire à m’expliquer et m’a proposé un rendez-vous à son bureau demain matin. Je l’ai accepté.
Jefferson est surpris et s’interroge.
-- Et tu l’as cru ?
-- Non, mais je veux voir ce qu’il va proposer. Il est des nôtres et ça change la donne.
-- Pour ça, c’est sûr ! dit Jefferson.Quelle surprise ! Je n’en suis pas encore revenu. Et s’il s’évaporait dans la nature d’ici demain matin ? Et s’il te retenait prisonnier ?
-- Je ne crois pas. Il a pignon sur rue. Et puis j’ai son matricule de méridéen.
-- Ainsi c’est ça, dit Jefferson. Je me demandais ce qu’il avait griffonné sur un bout de papier J’avais pensé à un numéro de téléphone.
-- Avec son matricule, on va demander une recherche d’infos sur son compte à La Méridéenne via le réseau des poissons. Qu’en penses-tu ?
-- Excellente idée. Mais tu n’y arriveras pas par le réseau, dit Jefferson. Il faut un contact direct avec le Grand Sage.
-- Mais c’est toi le Grand Sage, dit Rico. Si tu le demandes toi-même, on aura les infos, non ?

Jefferson rigole.
-- On va voir tout de suite, dit-il. Viens avec moi.
Ils se dirigent vers la plage et entrent dans l’eau pour transmettre. La réponse ne va pas tarder. Le réseau communique que le Grand Sage refuse de transmettre la moindre information personnelle et suggère un contact direct.

Jefferson sourit. Il dit à Rico que si quelque chose leur arrivait, La Méridéenne serait entre de bonnes mains avec Jean. Rico approuve. Il connaît trop bien Jean ...
-- Je crois que nous dormirons un autre jour, dit encore Jefferson. Il faut y aller. J’ai envie d’en savoir plus sur cet amiral Bertrand.
-- Et moi, au moins autant que toi.
Et ils s’enfoncèrent dans les abysses ...

Drôle de situation que celle qui les contraint à retourner à La Méridéenne pour avoir des informations sur le responsable d’une catastrophe qui les a mis en péril. Ainsi, c’était l’un des nôtres, ressasse Jefferson. Jean les accueille, l’air un peu embêté.
-- Désolé de vous avoir contraint à faire le déplacement, dit-il.
Jefferson le félicite pour son intégrité et dit qu’il y a désormais deux Grands Sages à La Méridéenne. Rico dit qu’il est jaloux, que lui aussi ferait un bon Grand Sage. Jean lui rétorque en riant qu’avec lui, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’or à La Méridéenne. Ce qui les fait tous bien rire ...

Le matricule a été transmis au conservateur qui bientôt apporte la réponse. Il ne sait s’il doit la remettre à Jefferson ou à Jean. Jefferson s’en amuse en prenant le document.
-- Alors voila, dit-il.L’intéressé est banni définitivement de La Méridéenne depuis 30 ans pour entorse suprême au dogme : Il mangeait du poisson ! Il a fait plusieurs tentatives de retour mais fut à chaque fois rejeté par le Grand Sage.

Rico, le révélé tardif, a découvert avec Jean que les méridéens filtrent le plancton et s’en nourrissent naturellement. Pour les méridéens, manger du poisson est un crime assimilable à l’anthropophagie chez les terriens. Pas étonnant donc.

Jefferson, Rico et Jean comprennent alors que ce méridéen banni cherche à se venger. Et il ne lésine pas sur les moyens.
-- Il nous faut arrêter sa folie, dit Jefferson. Retournons sans tarder à terre ...

-- Bonjour Gérard, dit l’amiral. Alors, vous avez abandonné votre planque ?
-- Oui, amiral. Je suis à vos ordres.
-- Écoutez Gérard, si ça ne vous dérange pas d’attendre un peu, patientez dans le vestibule. J’attends quelqu’un avec qui j’ai rendez-vous. On se voit après.
-- Comme vous le souhaitez, amiral, dit Gérard.

Bertrand referme la porte de son bureau. Il ouvre son armoire à dossiers et s’empare de l’un d’eux, lourd, à la couverture rouge, frappé d’un grand H. Au dos de la couverture, une liste de noms : Flambart, Demange, Arnould, Gérard, Henri, Georges, Samuel, monsieur X.

Il a toujours anticipé sur les choses. Ce que la plupart ne ferait pas, par superstition, lui, il se donne un malin plaisir à provoquer le sort, comme pour se donner une obligation de résultat. Il ne s’est jamais trompé, pense t-il.

Il se saisi d’un crayon feutre noir, puis il barre le nom Gérard, puis monsieur X. Il s’y reprend à plusieurs fois, en surchargeant, de façon à ce que ces deux noms deviennent illisibles. Puis il en sort une sous chemise jaune titrée «Phase Lézard». L’un des feuillets est à l’entête du ministère de l’Intérieur. Il est signé «Par délégation du Président de la République, le ministre de l’Intérieur» ! Un monument de langue de bois au style alambiqué pour finalement lui confier la responsabilité de l’opération H.

Il se complait à le relire. Il y est dit notamment «qu’il devra tout mettre en œuvre pour s’assurer de la faisabilité du projet H dans le respect des objectifs découlant des obligations de défense des frontières définies par la Constitution Française, auxquels devront s’adjoindre les évidentes préoccupations de préservation de la faune et de la flore.» Et quoi encore, pense t-il.

Quelle formidable opportunité cette opération H. Jamais il n’aurait pu rêver qu’un tel scénario serait à sa portée un jour et qu’en plus, il en serait le maître d’œuvre. Mais finalement, se dit-il, ce n’est pas plus stupéfiant que ce capitaine Gérard qui rencontre un méridéen ...

Son téléphone sonne. C’est Valérie, à l’accueil.
-- Un homme qui prétend être spécialiste des containers dit qu’il a rendez-vous avec vous, amiral.
-- C’est juste. Faites-le monter, dit-il en raccrochant. Faites-le monter ...

* * * * * * * * * *

Une nouvelle fois, Jefferson et Rico rallient leur QG à l’hôtel de Cavalière. Ils ont peu échangé durant le voyage mais sont tombés d’accord sur un objectif à court terme : l’amiral doit les mener rapidement à la matière, ce produit dangereux aux effets si spectaculaires. Ensuite ils devront s’occuper des responsables.

Dans la chambre 117, les deux hommes prennent un peu de repos. Bientôt, le jour va se lever et il leur faudra se rendre à Toulon. Comment vont-ils procéder ?

Jefferson dit que cette affaire est menée avec une suffisance incroyable. Car l’amiral travaille à découvert, sans doute largement abrité par sa hiérarchie. Mais monter une telle opération laisse des traces, des notes, des dossiers.
-- Tu vas probablement entrer dans son bureau, dit-il à Rico. Il faut intervenir là.
Rico est d’accord, mais il propose une variante.
-- Et si j’envoyais un émissaire chez l’amiral ? Si c’était toi qui allait le rencontrer ? dit-il à Jefferson.
Jefferson est surpris.
-- Dans quel but ?
-- Écoutes, dit Rico, il va tenter de m’acheter. Au restaurant, il m’a dit aussi qu’il me ferait une proposition pour améliorer ma vie de terrien. Je préfère ne pas entendre ça.
Jefferson sourit. Pauvre Rico, pauvre terrien.
-- Mais ça ne colle pas, dit-il. Parce qu’il s’attend à discuter de méridéen à méridéen. Et moi je n’ai pas envie de me démasquer.
-- Mais tu n’as pas à te démasquer, objecta Rico. Je fréquente aussi les terriens. Pourquoi mon émissaire serait-il obligatoirement un méridéen ?
Jefferson réfléchit.
-- Il y aura un effet de surprise, dit-il. Encore que ... bien qu'à bonne distance, il a pu enregistrer ma trombine à la Taverne de Maitre Komper. Mais on peut prendre le risque. Et tu enverrais un émissaire pour quoi faire ?
-- Mais tout simplement pour savoir quelle proposition il a l’intention de me faire, dit Rico. De toute façon, il faut le neutraliser et inventorier son bureau.
-- A condition qu’il me reçoive dans son bureau et que ses dossiers y soient, dit Jefferson. Bon, j’aviserai si ça n’est pas le cas. Tu te tiendras en alerte à l’extérieur.

Dehors, le soleil est déjà au dessus de l’horizon. La mer est plate comme un matin calme. Elle est bleue ...

Depuis combien de temps n’a-t-il pas fait de plongée ? Gérard se revoit à l’école navale de Brest, évoque ses nombreux stages d’entraînement. Ça doit faire au moins deux ans, se dit-il.

Tout à coup, un homme apparaît dans le vestibule. Il est grand, athlétique et dégage une force tranquille qui impressionne d’emblée. Son regard croise celui du capitaine. Il semble chercher quelque chose. Et en effet, il demande où se trouve le bureau de l’amiral Bertrand. Gérard le lui indique. Il y frappe, puis il y entre ...

* * * * * * * * * *

-- Entrez ! dit l’amiral.
L’homme qui vient de pénétrer n’est pas le méridéen qu’il attendait. Il lui semble qu'il l'a déjà vu quelque part. Qu’est-ce que ça veut dire ?
-- Qui êtes-vous ? dit-il.
-- Qu’importe, dit Jefferson. Sachez seulement que je suis l’émissaire d’un homme qui revient de loin.

Aussitôt, l’amiral sent que quelque chose vient de se détraquer. C'est bête mais il n'avait pas prévu ce cas de figure. La rencontre dans son vestibule de Gérard et de Rico n’a pas eu lieu comme prévu. Il a le temps de se dire que cette fois, il pourrait bien s’être trompé. Alors qu’il amorce un geste vers un tiroir de son bureau, il sent une décharge lui parcourir le corps. Il est comme paralysé, cloué sur place. Il finit par s’écrouler, inconscient.

Vite, Jefferson parcourt les quelques documents rangés sur le bureau. Sans importance. Il inventorie un à un les tiroirs, sans résultat. L’un d’eux contient une sorte de télécommande. Sans doute le moyen d’alerte qu’il comptait déclencher, pense Jefferson. Une armoire. Il l’ouvre. Elle contient des dossiers, impeccablement rangés, les uns suspendus, des plus gros empilés. Un rouge, sanglé, portant la lettre H, retient son attention. Il s’en empare et se met au bureau pour le compulser. Il contient une dizaine de chemises diversement annotées. Laboratoire, Ordres de mission, Météo, Phase Crapaud, une autre phase Lézard. Plusieurs courriers du ministère de l’Intérieur...

C’est trop facile, se dit Jefferson en refermant le dossier et en assurant la sangle. Après un dernier coup d’œil à l’amiral toujours inerte, il sort, le dossier sous le bras ...

Ça n’a pas traîné, se dit Gérard lorsqu’il voit l’homme sortir, portant sous le bras un énorme dossier rouge. Il se dirige de son pas tranquille vers la sortie sans oublier de le saluer au passage. Gérard n’y a pas porté plus d’attention que cela, pourtant il a bien vu que le dossier portait une grosse lettre H ...

Un quart d’heure plus tard, Gérard attend toujours et il s’impatiente. Mais l’amiral finit par apparaître dans l’encadrement de la porte. Gérard remarque qu’il a un drôle d’air. En fait, l’amiral paraît plutôt mal en point. Pourtant, il hurle à l’adresse de Gérard :
-- Et vous l’avez laissé partir ! Vous l’avez laissé partir ... vous êtes fini, mon pauvre vieux ! Vous êtes fini ! ...
Gérard met du temps à réaliser. L’homme serait venu pour voler ... un dossier !

L’amiral rejoint son fauteuil en titubant.
-- Mais bon sang, amiral, que s’est-il passé ? Vous sentez-vous mal ? Faut-il appeler des secours ?
-- Faites un seul geste, Gérard, et vous êtes mort ! s’emporte l’amiral. Mettez-vous assis et foutez-moi la paix !
Gérard se fait tout petit.

L’amiral reprend peu à peu ses esprits. Il a été électrisé ! Cet homme était un méridéen ! Ça lui revient maintenant : cet homme, il l'a vu à la Taverne de Maitre Komper le jour où il s'est coupé, l'animal ! Il faut passer tout de suite à la phase Lézard. Avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'ils ne soient tous passés au stade terrien. Certes, le programme H n’a pas été mis au point pour assouvir ses désirs personnels de vengeance mais cette formidable opportunité qui permet d’éliminer les méridéens et de s’approprier l’or de La Méridéenne ne doit pas être gâchée ...

-- Capitaine, quelle est votre analyse de la situation ? tonne l’amiral.
Gérard bredouille ...
-- Un homme est venu voler le dossier de l’opération H, dit-il ...
-- Bravo capitaine, on ne peut rien vous cacher ! Vous voyez sortir un homme avec le dossier, vous le laissez partir, et vous voulez m’apporter du secours ! Vous êtes bon, Gérard. Vous êtes bon, mais vous êtes un peu con. Je me répète : quelle est votre analyse de la situation, capitaine ?
-- Heu ... je pense que c’est grave, amiral, on est mal barré, ça va barder pour nos matricules, mais en matière de con, vous en êtes un autre, amiral !
-- De quoi ? s’étrangle l’amiral. De l’irrespect, de l’impertinence, de la rébellion, de la mutinerie ?!
Gérard reprend :
-- Pour garder à portée de main un tel dossier, avec toutes les pièces compromettantes qu’il peut contenir, je dis qu’il faut vraiment être con ! Amiral, vous m’avez demandé mon analyse de la situation, c’est mon analyse, conclut Gérard.

L’amiral semble tout à coup se détendre. Il sourit béatement à Gérard, puis il éclate de rire. Reprenant son sérieux, il avoue à Gérard qu’il a toujours sélectionné ses hommes en fonction de leur personnalité.
-- C’est bien, dit-il à Gérard. Elle est très bonne votre analyse. Faudrait vraiment être très con pour conserver un tel dossier à portée de main. Mais dites-moi, Gérard, vous pensez vraiment que je suis con à ce point là ?
-- Non, amiral, je n’en crois rien, dit Gérard.
-- Ah bon, dit l’amiral Voyez-vous Gérard, moi non plus je n’en crois rien à votre sujet.

Sur ces mots, Samuel fait son entrée dans le bureau de l’amiral. Il voit Gérard et marque un léger temps, puis il interroge l’amiral des yeux.
-- Vous pouvez parler devant le capitaine, dit l’amiral.
Samuel paraît un peu décontenancé.
-- Vous dire que ça n’est pas Rico qui est venu, vous le savez déjà, dit-il. Pour le reste, l’homme est sorti tranquillement et a été rejoins par Rico sur le port. Personne d’autre ne semble les accompagner.

Le capitaine Gérard vient tout à coup de comprendre quelque chose : l’amiral a tenté de les mettre en présence, Rico et lui. Petit cachottier, vas !

* * * * * * * * * *

Rico voit sortir Jefferson. Il porte un paquet. Non, c’est un dossier. Il se dirige tranquillement vers le port. Rico suit à distance en surveillant ses arrières. Mais rien ni personne ne semble se manifester. Jefferson a dû agir avec douceur et discrétion. Il se décide à le rattraper.
-- Et alors ? dit-il à Jefferson.
-- C’était un peu trop facile, répond celui-ci. On a dû se faire avoir. Ce dossier est sûrement bidon. Mais pour le savoir, il faut vérifier.
-- Comment as-tu fais, demande encore Rico.
-- Je suis démasqué, dit Jefferson. J’ai cru qu’il allait prendre une arme et du coup, j’ai été obligé de l’électriser tout de suite. Pour le reste, je te le redis, c’était un peu trop facile de trouver le dossier et de sortir sans être inquiété. Mais dis-moi, trois barrettes, c’est quoi comme grade, c’est un capitaine ?
-- Oui, un lieutenant de vaisseaux, dit Rico. Pourquoi ?
-- Parce qu’il y avait un type avec trois barrettes qui semblait attendre dans le vestibule de l’amiral.
-- Ah oui ? Blond, taille moyenne, avec un nez d’aigle ? demande Rico.
-- Oui, c’est ça, dit Jefferson. Avec un nez proéminent, je dirais plutôt.
-- Le capitaine Gérard ! dit Rico. Ah ben elle est bonne celle-là ! Mais dis donc, si ...
-- Si tu y étais allé, ben tu l’aurais rencontré, dit Jefferson. D’ailleurs il est probable que l’amiral a voulu vous mettre en présence. En tous les cas, il ne semble pas que le capitaine t’attendait, lui, car il ne se serait pas mis en évidence.
-- Bien sûr, dit Rico. Il y a de la manipulation dans l’air. A quoi joue donc cet amiral de malheur ?
-- Ca ne va pas être facile de le savoir, dit Jefferson. Maintenant, il sait que plusieurs méridéens sont à ses trousses et il va se méfier ...

* * * * * * * * * *

Le lieutenant de vaisseau Gérard tente de faire le point. L'amiral vient de lui confirmer sa mission, la même que celle précédemment confiée à Rico, au même endroit, dans les mêmes conditions. Mais avec un appareil de plongée, il n'est pas un homme poisson, lui.
-- Prenez date, dans six jours très exactement, lui a t-il dit. Allez-y par les moyens que vous voulez, ce qui m'importe, c'est l'ouverture du container.

Que ce serait-il passé si c'est Rico qui était venu ? Gérard se dit qu'il ne serait plus de ce monde car il n'avait plus sur lui sa seringue de neutralisation avec laquelle il planquait rue Mougin. Subitement, une évidence s'impose à lui : l'amiral et Rico se connaissent, se sont déjà rencontrés et négocient ensemble ! Mais ça va loin, ça ! Et puisque c'est quelqu'un d'autre qui est venu, c'est un complice de Rico, un homme poisson aussi, peut-être ?

Le capitaine Gérard comprend qu'il lui faudra jouer fin. Au moins deux personnes veulent sa peau : Rico et l'amiral ! Alors il échafaude son plan ... D'abord, parlementer avec Rico, lui avouer tout ce qu'il sait de l'opération H et du danger qu'encourent les hommes poissons. Oui, c'est comme cela qu'il va pouvoir monnayer sa survie ! Mais comment rencontrer Rico alors qu'il vient de planquer de longs jours sans résultats ?

Le cercle naval de Toulon ! C'est là qu'il l'a rencontré pour la première fois, et ce lieu fait forcément partie des zones surveillées par Rico pour le retrouver. Il va tout simplement placarder une affichette sur la porte ...

* * * * * * * * * *

-- On s’est fait avoir, dit Rico. Arrêtons de perdre notre temps. On n’y arrivera pas.
Jefferson doit en convenir. Aucune adresse, aucun nom n’a d’existence. Mais pourquoi s’être compliqué la vie à ce point ? N’était-il pas plus simple de mettre le bon dossier en lieu sûr plutôt que d’en mettre un factice en évidence ? Et si, malgré tout, il n’était pas bidon, mais tout simplement codé ?

Une annotation manuscrite au dos d’un courrier a attiré l’attention de Rico qui l’a fait remarquer à Jefferson. Depuis, ils sont atterrés tous les deux. Car il y est inscrit : «rien que les structures d’un seul méridoir représentent plusieurs tonnes d’or». Le méridoir, c’est une déclinaison locale de l’architecture de La Méridéenne à l’échelle d’un groupe d'une dizaine d'individus. L’amiral avait donc l’intention de piller l’or de La Méridéenne ! Et pour cela, il fallait éliminer tous les méridéens ! Pour Jefferson et Rico, cela ne fait plus aucun doute.

-- Il y a le feu ! dit Rico. Il faut absolument que l'on retrouve le capitaine Gérard, c'est notre seul lien, et on pourrait le faire parler ...
-- Ok, dit Jefferson, on laisse tomber ce dossier pour l'instant. Tu n'as qu'à prendre rendez-vous avec ce Gérard, et voilà !
-- Pas de sarcasme, s'il vous plait, grince Rico. Je vais me présenter tout bêtement à l'Espace Mirabeau, on verra bien.
-- L'Espace Mirabeau ? c'est-à-dire, questionne Jefferson.
-- Le cercle naval de Toulon, c'est là qu'on s'est rencontré pour la première fois ...

* * * * * * * * * *

Le capitaine Gérard vient d'ouvrir la porte du container. Il est immédiatement enveloppé d'un brouillard laiteux qui supprime toute visibilité. Il ne peut s'empêcher de penser à Rico. Il ne s'y attendait pas, lui.

Les méridéens sont normalement bien à l'abri, en surface et ils vont devoir y rester un certain temps car cette abomination blanche va disparaitre et réapparaitre. Cette sorte de rémanence, c'est un effet indésirable de la molécule modifiée par Henri et Georges pour atteindre les profondeurs. C'est sur cet effet qu'ils ont bâti leur plan. Heureusement qu'il a pu pactiser avec Rico et Jefferson ...

Lorsqu'il atteint la surface, il est sans réaction, pétrifié ! Cette étendue blanche de mort, il a déjà eu l'occasion de l'observer depuis l'Embraer Xingu la première fois.

Tout ça pour provoquer un bouleversement climatique majeur ! Folie des hommes, dont je suis et à laquelle j'ai participé, regrette t-il. Jamais plus ma vie ne sera comme avant, de cela j'en suis sûr.

S'ils pouvaient parler, les requins marteaux qui l'environnent le confirmeraient : Jamais plus sa vie ne sera comme avant.

A peine si cette mer blanche rosit un bref instant, à un bref endroit ...

 Henri vient de prévenir Georges qu'ils doivent se voir d'urgence. Il lui propose le bar du Mistral sur le port.
-- Vient vite, il y aura une sacré surprise et des scoops, lui dit-il.

Lorsque Georges arrive, il s'étonne d'abord de voir Henri en compagnie du capitaine Gérard et de deux inconnus. Mais son étonnement est à son comble lorsqu'on lui présente ... deux méridéens !
-- C'est ainsi que s'appellent les hommes poissons, dit Gérard.

Georges propose de faire la synthèse et commence :
-- Alors voilà, je résume au maximum : L'amiral Bertrand est ... un méridéen, et il a tenté d'éliminer le capitaine Gérard par personne interposée. C'est bien ça ?
Rico opine. Georges, hébété, met du temps à assimiler.
-- A moi aussi, ça m'a fait ça, dit Henri. L'amiral a pour objectif de profiter de l'opération H pour se venger de ses semblables et leur piquer l'or. Car le repaire des méridéens est en or. C'est toujours ça ?
Rico acquiesce, mais précise :
-- Le repaire s'appelle La Méridéenne !
-- C'est enregistré, dit Henri. Gérard et Rico se sont finalement rencontrés sans s'entretuer et ont décidés de nous rencontrer à notre tour. Dans cinq jours maintenant, le capitaine Gérard doit ouvrir un container en méditerranée. Je te laisse faire les déductions qui s'imposent.
-- Alors c'est ça, dit Georges. Samuel a piqué la formule, hein ? Mais la rémanence, alors ?
-- Justement, en t'attendant, nous avons élaboré le scénario suivant, dit Henri. Pour commencer, reconnaissons que le plus simple serait que Gérard n'ouvre pas le container. Mais l'amiral finira par le faire, ou le faire faire, et dans ce cas, on ne saura pas quand cela se produira. Comme personne ne sait que notre modification de la molécule provoque une rémanence non voulue, on va mettre à profit cet effet indésirable. Peut-être l'un de vous deux veut poursuivre, dit encore Henri à l'intention de Jefferson et Rico.
-- Merci, dit Jefferson. Nous pensons en effet que dès la dissipation, Bertrand va descendre à La Méridéenne pour constater les dégâts et piller. Mais nous, nous serons tous en surface. Nous attendrons le temps qu'il faudra, puisque vous dites qu'il y aura un deuxième effet dû à une rémanence. Nous attendrons la fin de cette deuxième réaction ... qui aura asphyxié l'immonde Bertrand !

Georges fixe Henri et sa face s'éclaire.
-- Je sais à quoi tu penses, dit Henri. Moi aussi je me sens soulagé d'un poids immense ...
-- Pas seulement vous, dit le capitaine Gérard. Sauf que moi, il me reste à ouvrir ce satané container !

* * * * * * * * * *

Bertrand sait que c'est le grand jour. SON grand jour. La laitance vient de disparaître et à l'heure actuelle, tous les méridéens non terriens sont normalement morts, asphyxiés !

Il se glisse dans l'eau, chargé comme un mulet. Un grand sac à dos, deux sacs valises et un immense filet. Vraiment, il faut être méridéen pour nager avec ça ... car il n'a pas voulu prendre un bateau, trop repérable, selon lui.

Il emporte de drôles de choses, on dirait des pains de plastic. Et un système de minuterie aussi. Il faudra bien ça pour exploser La Méridéenne ! Mais à retardement. Il lui faut le temps de remplir ses sacs d'or et son grand filet et s'éloigner péniblement sous le poids. Il ne va pas prendre de risques inutiles. Quatre heures de retardement, ça sera confortable.

La Méridéenne est en vue. Bientôt, il y pénètre.

Mais elle est déserte, aucun corps, ni mort, ni vivant. C'est bizarre, ça ... Mais Bertrand n'a pas le temps de s'arrêter sur cette situation plutôt anormale, il est trop occupé ...

Voilà, c'est fait, il est sur le retour, ployant sous la charge d'or. Mais il ne ressent pas la fatigue. Quoique ... il lui semble que la filtration est laborieuse, il peine tout-à-coup ... et puis, les choses se troublent. Non ! Ca n'est pas possible ! Il ne veut pas le croire : L'eau redevient laiteuse ...
Il sent l'asphyxie le gagner, petit à petit ... bientôt, il ne voit ni ne sent plus rien ...

* * * * * * * * * *

 Le réseau des poisons vient d'informer : le corps sans vie de l'amiral Bertrand a été retrouvé. Mais pas seulement. Celui de Léa, la gardienne des nurseries, également. Cette nouvelle attriste tous les méridéens et le grand sage Jefferson dit qu'il est profondément peiné.

Beaucoup de temps a passé depuis la dissipation du deuxième brouillage. Jefferson, s'appuyant sur sa confiance toute neuve en Georges et Henri, estime maintenant que tout danger est écarté et que les méridéens peuvent regagner La Méridéenne. Il donne l'ordre de rentrer ...

Jean et Rico, eux, s'excusent auprès de Jefferson. Ils souhaitent retourner terriens. Ils s'étreignent comme des frères en se promettant aide et assistance en cas de besoin, puis ils s'éloignent.

A peine se sont-ils quittés qu'une formidable onde de choc bouscule leurs tympans. Jean et Rico ont le même ressenti : c'est une explosion, il est arrivé un malheur à La Méridéenne !

Ils s'y précipitent ...

* * * * * * * * * *

Jefferson, le grand sage de La Méridéenne, enfin de l'ex-Méridéenne, a échappé aux conséquences de l'explosion. Il est en train de communiquer avec le réseau des poissons ...

Il est question de choses compliquées, de réseaux trophiques, de phytoplancton, de zooplancton, de toxines, de botulique, de dystrophisation ...

* * * * * * * * * *

 Rico a du mal à suivre un Jean qui nage comme un fou, qui comme lui, pressent le pire. Cet amiral de Bertrand de malheur de la mort avait sûrement piégé La Méridéenne. A cette vitesse, ils ne vont pas tarder à être renseigné ...

Les signaux qui d'habitude s'annoncent de toutes parts, sont étrangement absents. Personne ne transmet. Cette situation n'a jamais été vécue ou observée par Jean ou Rico. Un grand malheur est sûrement arrivé, répète en boucle un Rico désemparé !

Enfin, ils arrivent ... Mais ils arrivent où ?
Ils doutent de ce qu'ils voient ... ou plutôt de ce qu'ils ne voient pas : il n'y a plus rien, PLUS DE MERIDEENNE !
Pas la moindre trace, la moindre vie, le moindre indice ...

Comme si l'or des structures s'en était retourné à son filon originel !



Fin de la 7ème partie

Le dernier des méridéens